Faire face au défi de l’identité
24 octobre
2009
NATAN SHARANSKY , THE JERUSALEM POST
Adaptation française de sentinelle 5770
Il y a plusieurs années, quand j’étais ministre de l’industrie et du commerce, j’ai souvent
conduit des délégations d’hommes d’affaires dans des voyages à l’étranger, recherchant des partenariats économiques autour du monde. Typiquement, nous atterrissions dans un pays étranger – par
exemple le Brésil – passions un jour ou deux en réunions politiques ou d’affaires, et ensuite, je mettais un point d’honneur à passer une après-midi pour visiter les communautés juives locales.
Je rendais visite aux écoliers et aux parents, ou visitais les synagogues, ou bien rencontrais les dirigeants de la vie juive locale. Je goûtais avec un plaisir évident l’opportunité d’avoir
une sensation réelle de la texture de la vie juive locale
Les hommes d’affaires étaient généralement enchantés de m’accompagner où que j’aille – depuis
les réunions avec d’importants ministres du commerce, en allant en aval voir même l’usine la plus obscure ou un syndicat. Mais j’étais étonné que quand on en venait à mes visites aux
communautés juives, très peu montraient un véritable intérêt à venir avec moi. La majorité usait de leur temps libre pour faire leurs courses, une visite touristique et un saut au
restaurant. Cela me déconcertait.
Ces Israéliens s’identifiaient eux-mêmes fièrement comme Juifs. Pourquoi manquaient-ils tant
d’intérêt à la vie juive ailleurs dans le monde ?
Finalement, j’interrogeais certains d’entre eux à ce sujet. Ce qui apparut clairement, c’est
que, comme beaucoup d’autres Israéliens, ils tendaient à considérer la vie juive en Diaspora comme quelque chose d’une vision fugitive dans le rétroviseur. C’était un vestige d’un passé antique
– un passé au cours duquel les Juifs étaient humiliés et opprimés, et un passé dont nous Juifs, à travers le moderne Israël, commencions à nous lasser. Ils n’avaient pas besoin de se soucier de
visiter des écoles juives où des enfants se coltinaient avec l’hébreu, car c’était le monde d’hier.
La vieille synagogue portugaise est pittoresque, mais en fait sans intérêt. Pourquoi
devrais-je consacrer mon temps à visiter ces vieux musées ? Le football de plage à Copacabana est tellement plus intéressant.
L’attitude condescendante de mes amis israéliens à l’égard de la Diaspora s’est reflétée, je
crois, dans la façon dont la Diaspora a été liée historiquement à Israël. Les Juifs de la Diaspora occidentale avaient l’habitude de se considérer comme les puissants, aidant Israël aux heures
de besoin désespérées. Qu’il s’agît des appels de l’UJA* pour aider à l’installation d’immigrants sans ressources des pays arabes, ou encore de choses aussi simples que d’acheter des
obligations du trésor d’Israël pour la Bar Mitzvah de votre cousin, les Juifs de Diaspora tendaient à se considérer comme le grand frère de la communauté juive d’Israël, quelqu’un sur qui
Israël pouvait compter dans les moments difficiles.
D’une étrange manière, les communautés juives d’Israël et celles de Diaspora considéraient
chacune l’autre comme s’ils étaient de malheureux petits frères en danger de sombrer dans l’oubli à tout moment. Et, on doit à la vérité de dire
qu’aucune de ces attitudes n’était complètement erronée – et chacune servait son objectif.
D’un côté, l’esprit de lion de David Ben Gourion, son inébranlable conviction que le
nouvel Israël serait puissant, autosuffisant, et pourrait laisser derrière lui l’affreux souvenir de l’exil – avait sa place. Cette vision donnait
aux halutzim** la force, et leur conférait la détermination pour surmonter des défis pratiquement impossibles. De même, la notion romantique
en Diaspora qu’ils sauvaient Israël d’une menace imminente, aidait à rallier des millions de Juifs aux côtés d’Israël quand son avenir était vraiment précaire. Chacune de ces attitudes était
enracinée dans la réalité, et servait un objectif important.
Cependant, ce modèle – L’image du “malheureux plus jeune frère” que chaque communauté
incorporait à l’égard de l’autre – a suivi son cours ; elle est devenue dépassée. Israël est devenu un laboratoire de hautes technologies, et
peut plus ou moins se suffire à lui-même. De la même façon, la Diaspora a prouvé qu’elle demeurera encore pour un bon moment ; les rumeurs sur sa disparition sont très exagérées. Ainsi,
chaque communauté doit reconnaître que son modèle, la paire de lunettes à travers laquelle elle a traditionnellement jeter son regard sur l’autre, nécessite un renouvellement de
prescription.
Cherchant à ajuster notre vision de l’avenir, nous devons nous demander : Si la
construction de l’Etat et la facilitation de l’Aliya de plus de trois millions de nos frères de pays d’oppression étaient les défis définissant les 60 dernières années, quels sont les défis qui
définiront les 60 prochaines ? Et alors que nous avançons vers ces 60 prochaines années, la Diaspora et Israël peuvent-ils forger une nouvelle relation – une relation fondée sur quelque
chose de plus durable que la charité mutuelle ou le parrainage bienveillant envers l’autre ? Et finalement : Sur quelle fondement Israël et la Diaspora peuvent-ils développer une
manière partagée de regarder le futur, plutôt que de se cramponner à la vision binaire qui a défini leurs passés respectifs ?
Commençons par traiter la première de ces questions : Quelles sont les menaces, les
opportunités émergentes, et les besoins qui retiendront notre attention et nos ressources dans les décennies à venir ? La réponse la plus évidente est la menace existentielle provenant du
terrorisme arabe et de l’Iran. Mais bien que cela soit vrai, je crois fermement qu’il existe aussi une autre menace existentielle, qui ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. En un
mot, le défi primordial du futur sera posé par une expression bien innocente : l’Identité. La grande menace à laquelle nous sommes confrontés est l’assimilation de masse, par défaut, dans
une culture mondiale, homogénéisée.
Dans un monde ou des employés à New Delhi répondent par téléphone pour l’agence de location
de voitures Alamo à San Francisco, dans lequel les frontières nationales semblent s’évaporer dans l’image floue de Mac Donald et de messages Twitter – dans ce monde, Israël se trouvera sous une
pression de plus en plus grande pour justifier son existence en tant qu’Etat juif, et le Peuple juif se trouvera sous une pression encore plus grande pour se maintenir comme entité distincte.
Dans un tel environnement, notre avenir s’élèvera ou s’effondrera à partir de notre capacité à communiquer à nous-mêmes, à nos enfants, et au monde, pourquoi le Peuple juif doit continuer
d’exister comme unité en lui-même. Si nous ne parvenons pas à relever ce défi, nous nous désintègrerons en silence de l’intérieur, aussi sûrement que si nous avions été attaqués de
l’extérieur.
Comment faisons-nous face au défi de l’identité ? Je suis convaincu qu’une façon de le
faire est d’abandonner le vieux modèle – dans le sens où nous sommes des communautés isolées – et de commencer de rencontrer, chez l’autre, notre statut national le plus large.
D’une certaine manière, au cours des 60 dernières années, il semble que les plus évidentes
vérités ont échappé à la conscience aussi bien des Israéliens que des communautés juives de Diaspora : Chacun de nous a besoin de l’autre. Nous avons besoin de l’autre matériellement, mais
bien plus que cela, nous avons besoin de l’autre pour comprendre qui nous sommes réellement, en tant que Peuple. La raison de se soucier de regarder de l’autre côté de l’océan n’était pas
seulement de savoir de quelle sorte d’aide avait besoin l’autre communauté pour survivre, ou d’être reconnaissant que vous ne disparaissiez pas comme eux. Il en était ainsi parce que vous
pouviez prendre contact avec l’autre, dans la réalité – et ce faisant, pratiquer ce qui signifie faire partie de ’Klal Yisrael’, le Peuple juif, au sens large.
De fait, un nombre croissant de Juifs de Diaspora, des milliers et des milliers d’entre eux,
commencent à le comprendre : Faire l’expérience d’Israël, c’est rencontrer la nation juive d’une manière fascinante, viscérale, tangible. « Birthright », « Masa » et
d’autres voyages expérimentaux en Israël produisent des impressions puissantes sur des étudiants – et il y a une raison à cela. C’est parce que un voyage en Israël est plus qu’une visite dans
un pays étranger ; c’est une visite à la maison. En entendant l’hébreu parlé dans les rues, en voyant les images de pommes et de miel sur des publicités vers Rosh Hashana, les
caractéristiques de la vie juive envahissent la vie de tous les jours en Israël, y compris de la vie profane.
Pour un(e) étudiant(e) habitué(e) à faire l’expérience de sa vie juive d’abord comme dans une
« prison », en restant plusieurs années au cours d’hébreu de l’après-midi, il s’agit d’une rencontre avec son Peuple immédiatement
différente, rafraîchissante et réelle.
A l’inverse, les Israéliens commencent à comprendre : que la vie juive ne commence ni ne se
termine en Israël, que les rencontres avec la vie juive de Diaspora peuvent aussi être bonnes pour l’âme d’Israël. J’ai récemment rencontré une femme d’affaires israélienne de premier plan, qui
n’avait aucun intérêt auparavant dans la vie de la communauté juive en Diaspora, mais elle est devenue une dirigeante des programmes de partenariats de « l’Agence Juive ». Elle m’a
raconté que sa rencontre avec une communauté de Diaspora l’avait revigorée. Il s’avère qu’il ne s’agissait pas seulement d’économie. Elle a découvert un aspect vibrant de la vie juive différent
des stéréotypes dans lesquels elle avait grandi à la maison, et elle trouva cela lumineux – et spirituellement rafraîchissant.
Le fond de l’affaire gît ici : Les communautés juives de Diaspora offrent à la communauté
juive d’Israël quelque chose de valeur. Quand des Israéliens rencontrent des Juifs de Diaspora élevés dans une société de ‘Gentils’ et ont choisi, pro-activement, de rester juifs de toute
manière, c’est source d’inspiration. De plus, nous autres Juifs disposons d’un riche passé. Pour avoir un vrai sens de l’identité juive, les Israéliens ont besoin de comprendre l’importance des
derniers 2000 ans de vie juive en Diaspora, d’apprendre à son sujet – et d’incorporer le meilleur de ce qu’il offre dans leur propre vie.
Dans le monde post-identitaire, les communautés juives de Diaspora et d’Israël ont besoin
l’une de l’autre. Aucun d’entre nous ne constitue Klal Yisrael : nous, ensemble, nous sommes Klal Yisrael. Quand nous entrons en contact avec l’autre, nous rencontrons quelque chose de
majestueux, de merveilleux, de plus grand que la vie : nous rencontrons notre propre Peuple.
Au cours des 80 années passées, l’Agence Juive a été un pont entre la Diaspora et la
communauté juive d’Israël. En travaillant ensemble, nous avons accompli des choses historiques. Nous avons construit un Etat sur la terre de nos Patriarches et nous avons fait venir des
millions de nos frères sur ses rives.
Maintenant, franchissons la prochaine grande étape que la destinée exige de nous. Embrassons
ensemble notre terre partagée d’« Eretz Yisrael”, et notre Peuple uni d’« Am Yisrael » pour pouvoir enseigner à nos enfants la signification de leur judéité et les amener à
prendre soin passionnément d’Israël.
Ce faisant, nous maintiendrons la vitalité de notre Nation pour les siècles à
venir.
L’auteur est président
exécutif de l’Agence juive pour Israël.
Notes du traducteur :
UJA : Union of
Orthodox Jews in America
Haloutzim : pionniers, volontaires des kibbutzims
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