Etat nation du peuple juif et démocratie
Politique politicienne, faux problèmes et vrais problèmes
par Nessim Robert Cohen-Tanugi
Lien Israël-Diaspora : Lettre du 26/11/14
On pouvait s’y attendre : grand tollé de combat de l’Occident contre la volonté de la Knesset de renforcer le caractère juif de l’Etat d'Israël, et, de là, soupçonner qu’Israël déroge à son caractère démocratique, ce que semble suggérer les propos du Département d'Etat américain qui a déclaré lundi soir qu'il attendait d'Israël qu'il reste fidèle à "ses principes démocratiques".
Faux problèmes
Et en quoi Israël n’y serait plus fidèle ? Parce que, nous dit-on, si l’Etat est Juif, les Arabes ne seraient pas égaux. Réponse : si un Arabe israélien a exactement les mêmes droits qu’un Juif israélien, la démocratie est évidemment totale ! Qu’importe que l’un soit Juif et l’autre Arabe s’ils ont les mêmes droits ? Un Français arabe n’a-t-il pas les mêmes droits qu’un Français chrétien ? Un Américain noir et un Américain blanc n’ont-ils pas les mêmes droits ? En réalité, on tente ainsi d’imposer l’idée qu’en Israël il y aurait deux peuples : un peuple juif et un peuple palestinien. Et c’est là qu’il faut parler clairement. S’il y a deux peuples alors les Arabes palestiniens seraient une minorité nationale. L’idée de minorité nationale est parfaitement compatible avec la démocratie, la preuve en est que la Constitution européenne le prévoit et l’applique ! Dans ce cas il faudrait modifier les lois israéliennes pour y introduire un correctif sur les minorités nationales. Il y aurait aussi des Druzes, des Bédou-ins, des Ethiopiens, des Arabes etc. Mais les lois israéliennes ne sont pas dans ce cas de figure. En effet, toutes ces minorités sont civilement et pleinement des citoyens israéliens. Personne ne peut le contester. En vérité, ce n’est pas Israël qui dis-crimine les Arabes palestiniens puis-qu’ils sont pleinement citoyens. Ce sont bien les Arabes qui se discrimi-nent eux-mêmes en se définissant comme Palestiniens. Dans ce cas, il faudrait les définir comme une minorité nationale et il faudrait changer la loi israélienne. Or, il est très clair qu’une grande partie des Arabes d’Israël veulent rester israéliens et bénéficier pleinement de ce statut. Ils refusent toute citoyenneté palestino-cisjordanienne ou palestino-gazaouie. Ceux qui voudraient un jour avoir la citoyenneté palestinienne ne pourraient vivre en Israël que comme résidents privilégiés et devront res-pecter les lois israéliennes ou aller vivre dans la future Palestine. Mais, inversement, si demain l’Etat de Palestine était reconnu par Israël, il pourrait y avoir des Israéliens résidents privilégiés en Palestine ou des Juifs de citoyenneté palestinienne. Rappelons cependant, non sans ironie, que Abbas a déclaré qu’il veut une Palestine judenrein ! Il faudra alors que nous aussi exigions un Israël arabrein ! On mesure bien ainsi à quel point notre vision démocratique est loin de celle des Palestiniens du Fatah, sans parler des Palestiniens de Gaza ! Ainsi donc, il est absolument faux qu’Israël, Etat du peuple juif, ne serait plus tout à fait démocratique.
Le vrai problème
En revanche il y a un vrai problème et c’est ce que cette nouvelle loi veut résoudre. C’est que l’opinion publique occi-dentale, et hélas, nombre de politiciens passablement ignorants, sont persua-dés que le critère fondamental de la démocratie est la règle de la majorité la moitié plus un : c’est une grossière erreur. Hitler et Mussolini détenaient une incontestable très large majorité dans leur pays. C’était aussi le cas de Khomeiny. Ces régimes ne sont en rien des régimes démocratiques parce que la démocratie se manifeste par la majorité ET l’adoption de règles et de valeurs qui sont le socle de la démocratie. Quand il y a parti unique, quand la minorité ne dispose pas des libertés, quand seule la propagande est diffusée et l’opposition muselée, quand elle est opprimée etc. le régime n’est nullement démocratique. C’est pour cela que dans la majorité des cas, il y a un préambule avant l’énoncé de la Constitution. En France, il y a en préambule la déclaration des droits de l’homme, dans l’Europe, il y a un pré-ambule et un exposé des principes etc. Or les lois fondamentales de l’Etat d’Israël ne sont pas assez explicites dans leur préambule. Exemple : une simple majorité pourrait décidait que la circoncision est interdite, ce que certains veulent ajouter dans la Constitution européenne. Ou encore voter une loi abolissant le samedi chômé, ou l’interdiction de l’abattage par jugulation, ou l’interdiction d’un carré juif dans les cimetières etc. etc. Il est évident que ces dispositions, seraient-elles majoritaires, sont incompatibles avec les valeurs fondamentales du peuple juif. C’est pourquoi il est indispensable et impératif de compléter le préambule qui sert de socle aux lois israéliennes. C’est pourquoi il est prévu que lorsque de nouvelles lois seront promulguées, elles ne pourront être validées si elles ne sont pas compatibles avec les valeurs et l’histoire du peuple juif.
Enfin et surtout
Détail capital : « Etat-nation du peuple juif » est la bonne formulation car le même mot, « juif », désigne le peuple juif et la religion juive tandis que « Arabe » désigne un peuple (il y a 10% d’Arabes chrétiens !) et « musulman « , la religion. Cette confusion est à l’origine de nombre de malentendus. La Nation juive est née avec Jacob, la religion juive est née ave Moïse près de trois siècles après ! Un Juif qui ne croit pas en dieu et ne pratique pas reste un Juif : il fait partie de ce peuple. Une personne qui croirait en dieu et pratiquerait la halakha ne sera en rien un Juif. Il n’y a absolument pas exclusion ni apartheid des musulmans ou des chrétiens. L’Etat nation juif n’est donc pas confessionnel. Il est consternant de voir des analystes, des journalistes, et même des juristes, complètement déformés par la maladie politicienne qui consiste à ne voir dans la politique qu’un com-bat entre factions où hommes agissant au nom de leurs intérêts : ainsi, Nahum Barnéa, célèbre journaliste du Yediot Aharonot, prétend que le but de Natanyahu est politicien : gagner sur les deux tableaux avec cette loi soit pour faire pencher la coalition à droite pour la maintenir, soit grignoter des voix à ses adversaires lors d’élections anti-cipées si sa coalition fait naufrage. C’est voir le monde à travers le petit bout de la lorgnette. Et quand Tzippi Livni ou Yossi Lapid critiquent cette loi, ils font exactement de même. ■