Une attaque disproportionnée sur la Libye ?
Du bon usage des proportions
Serge Mazouz
© Primo, 28-03-2011
Des avions de chasses (F-15, F-16, F-18, AV-8B Harrier), des sous-marins équipés de missiles Tomahawk et deux navires de la Navy pour les Etats-Unis, une vingtaine d’avions de combat (Rafales, Mirages 2000 ) et le porte-avion Charles-de-Gaulle pour la France, des chasseurs Tornado et Typhoon ainsi que deux frégates (Timberland et Westminster) pour la Grande-Bretagne auxquels s’associent des avions de chasses ou des navires canadiens, italiens, espagnols, danois, belges, qataris, entre autres, c’est une véritable Armada que la coalition a déployée depuis le 20 mars 2011 pour venir en aide aux insurgés libyens et leur éviter un bain de sang face au fou sanguinaire de la Jamahiriya …
Le caractère massif des moyens mis en œuvre face à un pays de six millions d’habitants seulement peut surprendre.
Face à la menace qui pesait sur Benghazi , face à la cruauté affichée du Guide de la Révolution la coalition n’a pas lésiné sur les moyens à utiliser..
Le temps parait loin où le président Nicolas Sarkozy condamnant l’opération israélienne contre Gaza dénonçait le 27/12/2008 : « .. les provocations irresponsables qui ont conduit à cette situation ainsi que l’usage disproportionné de la force ».
Le monde entier ou presque (1) condamnait alors cet « usage disproportionné » de la force de la part d’Israël, seule. L’Etat hébreu faisant face aux provocations du Hamas avec ses tirs de roquette incessants sur le sud de son territoire, tirs qui menaçaient la vie de ses citoyens, avait lancé l’opération Plomb durci pour tenter de réduire les bases de lancements du Hamas, installées au milieu de populations civiles.
Les précautions prises par l’armée israélienne, compte tenu des difficultés du terrain et du cynisme du Hamas, n’avaient pu empêcher de déplorer nombre de victimes civiles ce qui avait valu à Israël la réprobation de la communauté internationale.
En remontant plus loin dans le temps, en juillet 2006 lors de la seconde guerre du Liban menée par Israël pour répondre aux attaques du Hezbollah, le Président Jaques Chirac déclarait le 14/07/2006 : « Je trouve, honnêtement, comme l'ensemble des Européens, que les réactions actuelles sont tout à fait disproportionnées ».
Durant cette période, près de 6000 tirs de roquette et missiles sur le nord d’Israël avaient été dénombrés….
L’opération militaire initiée par la résolution 1973 fait appel à des moyens autrement considérables : une coalition comprenant trois puissances nucléaires (USA, France, Grande-Bretagne..) représentant près de 600 millions d’habitants, contre un pays de 6 millions d’individus (1 contre 100 !) certes riche en pétrole mais quasi désertique et dont aucun habitant ne menace la sécurité des citoyens de la coalition…
N’y a-t-il pas ici une forme de disproportion qui ne semble émouvoir personne ?
La cause de la coalition est juste, sans conteste.
Toutefois les moyens mis en œuvre pourraient apparaitre totalement décalés par rapport aux capacités de l’armée libyenne : les troupes de Kadhafi comportent 76.000 hommes à l’équipement vétuste (2), Leur potentiel militaire est réduit et probablement surestimé (3)
Si l’opération initiée par le président Nicolas Sarkozy pour venir en aide au insurgés libyens est absolument légitime et nécessaire, elle démontre clairement la nécessité pour toute action armée de se donner les moyens nécessaires à ses ambitions et si ces moyens mis en œuvre sont ceux de toutes les guerres, la coalition n’en a négligé aucun… Comme l’a écrit André Glucksmann en 2005 : « Chaque conflit, en sommeil ou en ébullition, est par nature "disproportionné". Si les adversaires s'entendaient sur l'usage de leurs moyens et sur les buts revendiqués, ils ne seraient plus adversaires » (4)
Si nos pays considèrent comme légitime de se doter de moyens aussi considérables pour mener à bien leur entreprise, ils doivent reconnaitre à d’autres ce droit élémentaire.
L’accusation de disproportion trop souvent utilisée par nos gouvernants à l’encontre d’Israël ne tient pas devant l’évidence de la nécessité…
Il serait bon de s’en souvenir.
1 le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki Moon critiquait le 29/12/2008 le « recours excessif à la force » par Israël.
2 Une armée libyenne à l'équipement vétuste par Nathalie Guilbert Le Monde - 05/03/2011
3 Libye : une armée au potentiel limité par Alain Ruello Les Echos- 18/03/2011
4 Gaza , une riposte excessive ? Le Monde - 06/01/2009