Vous connaissez sûrement cette vieille blague juive : « Dans la Russie des années 1920, un vieux juif se sentant mourir, convoqua ses trois fils à son chevet. Au premier, il demanda : « Que
comptes-tu faire plus tard, mon fils ? » « Je veux partir aux Etats-Unis et y importer la Révolution bolchevique ! », lui répondit-il. « Bravo, mon fils, je suis fier de toi ! » sourit le
père. « Et toi », demandait il au cadet ? « Papa, moi aussi je veux quitter la Russie, et partir en France pour y installer la Révolution socialiste! » « Bravo, mon fils, je suis également
très fier de toi », répondit avec fierté le père. Puis, se tournant vers le plus jeune, il lui demanda : « Et toi ? »…« Moi, papa », répondit le dernier, « je veux aller en Palestine, pour y
installer la Révolution bolchévique ! » A ce moment, le père se redressa dans un suprême effort, le visage blême, et lui dit : « Mon fils, es-tu devenu fou ??!!! Pas chez nous !!!! »
Cette blague juive, qui comme toutes les blagues juives n’en est pas vraiment une, m’est venue à l’esprit lorsque j’ai lu un article d’un quotidien israélien qui parlait d’un mouvement de
protestation qui prend actuellement forme dans les kibboutzim et moshavim qui bordent la Bande de Gaza.
De quoi parle-t-on ? Après les confirmations faites par l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert sur les « échanges de territoires » qui seraient effectués entre Israël et un futur Etat
Palestinien, en cas d’accord, les habitants des Kibboutzim du Néguev occidental se retrouvent face à une situation nouvelle et commencent à ressentir une crainte certaine quant à leur
devenir. Selon les cartes discutées secrètement entre les négociateurs…c’est dans le Néguev occidental notamment que des territoires seraient annexés à un futur Etat Palestinien, en
compensation de l’annexion par Israël des fameux « blocs d’implantations », et dans le but d’élargir la Bande de Gaza et réduire la distance entre ce territoire et la Judée-Samarie devenue
Palestine !
Branle-bas de combat chez ces pionniers idéalistes de gauche qui jusqu’à présent se sentaient très à l’aise avec le slogan sacré « La Paix contre les Territoires », tant qu’il s’agissait bien
entendu des « autres », ceux de droite, de Judée-Samarie qui devraient un jour faire leur valises. Ces mêmes citoyens qui pour beaucoup d’entre eux avaient applaudi en sourdine le
déracinement de 21 villages juifs du Goush Katif, commencent à voir de sombres nuages s’amonceler dans le ciel de leurs naïves certitudes.
Haïm Yalin, Président du Conseil Régional Eshkol, prévient déjà : « Il faut s’attendre à ce que Binyamin Netanyahou choisisse d’aller – de gré ou contraint – dans les pas du gouvernement Olmert, et prépare déjà le terrain à une véritable modification de la frontière sud-ouest d’Israël. Si nous ne réagissons pas vite et fort, il croira que la partie est jouée ! Nous sommes encore silencieux, mais nous allons livrer une véritable guerre contre ces intentions ». Tiens donc….Haïm Yalin a écrit une lettre enflammée au Premier ministre : « …il est hors de question que 62 ans après la création de l’Etat d’Israël, nous offrions nos terres à des gens qui ne nous reconnaissent même pas en tant que peuple, et qui nient notre droit à vivre sur notre terre et la travailler ». Du pur Ihoud Leoumi, ne trouvez-vous pas ? !!
Mais il ne s’arrête pas là, ce bougre de « colon extrémiste » du Néguev : « Nous sommes prêts à continuer à planter même sous les tirs ennemis, car notre présence ici est indispensable. Elle sert à défendre tout le pays, et s’il le faut, nous fomenterons une véritable insurrection contre ce processus s’il venait à se préciser. Et là, Monsieur le Premier ministre, vous n’auriez pas uniquement les sionistes-religieux face à vous, mais tout le peuple, laïcs comme religieux, gauche comme droite, ville comme campagne ! » Refus d’obéir sans doute ?
Les différents messages venant des Services du Premier ministre et visant à rassurer les villageois ne les impressionnent pas outre mesure, eux qui se souviennent de leurs voisins du Goush Katif auxquels un autre Premier ministre avait déclaré solennellement « La loi de Netzarim sera la loi de Tel-Aviv ».
De manière pathétique, à la limite du ridicule, Haïm Yalin emprunte soudain le vocabulaire des Juifs de Judée-Samarie envers qui il se sent soudain naître une certaine compréhension : « On
nous dit ‘Oui, mais à ce moment-là, il y aura la paix !’ Rien de plus faux ! Pour cela, il faudrait une nouvelle génération de Palestiniens qui ne soit pas intoxiquée par la propagande
meurtrière distillée dès la petite école. Et pas des enfants de trois ans à qui l’on fait porter un pistolet, ou qui à 17 ans, doivent tuer un Juif pour prouver leur attachement à la cause !
» Prononcées par un habitant de Kiryat Arba avec une grosse kippa crochetée, par le Président du Conseil de Yesha, ou par des députés de droite, ces réflexions auraient immédiatement
rencontré mépris et dérision chez ces mêmes citoyens, avant d’être rangées dans la catégorie des « litanies belliqueuses droitières», et du « refus de la paix ».
Un autre habitant de la région, Amos Avani, du Kibboutz Beeri, avance aujourd’hui des arguments entendus bien plus à droite de l’échiquier politique : « Aujourd’hui, nous leur donnerons ces
territoires, demain, ils en demanderont d’autres. Personne du côté palestinien ne nous a encore garantit qu’il y aura la paix, et déjà nous courons vers eux avec des cadeaux ! Si nous
annulons les acquis de la guerre de 1948, notre légitimité ici disparaîtra. A ce moment là, venons et créons un ‘Etat autour de Tel-Aviv’ uniquement, et rassemblons-y toute la population du
pays ! »
Toutes ces réflexions sont pertinentes. Mais où étaient-ils tous ces amoureux d’Eretz Israël, ces soudains connaisseurs de la « vraie nature des Palestiniens », lorsqu’à quelques kilomètres de leurs confortables maisons hurlaient et pleuraient leurs frères et sœurs du Goush Katif que Tsahal chassait de chez eux en détruisant maisons, jardins et usines au bulldozer ? Parmi ces mêmes habitants aujourd’hui apeurés, nombreux sont ceux qui font partie des cohortes de manifestants venant chaque année participer au culte de la mémoire d’Itsha’k Rabin à Tel-Aviv, en brandissant des slogans à l’encontre des « colons extrémistes de Judée-Samarie », qui « mettent la Paix en péril au nom d’un attachement idolâtre à la Terre » !!
Les avis des habitants de ces villages qui bordent la Bande de Gaza ne sont certes pas unanimes, et la « réalité sur le terrain » a fini par ôter les dernières illusions d’une partie d’entre
eux. Un certain nombre était même opposé au démantèlement du Goush Katif, et d’aucuns se disent aujourd’hui contre un éventuel retrait de Judée-Samarie.
Mais pour en revenir à la blague du début, le message est clair. Tous ceux qui se disent généralement favorables à ce que des milliers de familles juives soient déracinées du cœur d’Israël « au nom de la Paix », abandonnent soudain idéologie, militantisme et slogans dès qu’ils sentent que c’est aussi la terre qui est sous leurs pieds qui commence à trembler.
Le texte mémorable écrit par Charles Péguy contre les Juifs timorés qui se démarquaient du Capitaine Dreyfus est toujours d’actualité. Ce n’est pas en jetant à l’eau l’un des nôtres que nous sauverons la barque des intempéries. La gauche israélienne a toujours cru qu’en sacrifiant une partie du peuple et la jetant en pâture à nos ennemis – de préférence celle qui réside dans le berceau du peuple juif – l’on résoudrait à jamais la question palestinienne.
Mais maintenant qu’il est question de céder aussi des territoires travaillés par l’élite de la gauche pionnière, les choses sont perçues de manière quelque peu différentes, et l’on se dit « prêt à tout pour sauver le sol national ».
Des « douloureux sacrifices » pour de nobles idéaux, oui certes, mais de préférence chez les autres…
par Shraga Blum pour A7
21/02/2010