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Malaassot - le blog de mordehai              -           ! ברוך הבא

Israël, la mer à boire

25 Avril 2017 , Rédigé par mordeh'ai

Israël, la mer à boire

Les Echos.fr
Digg It!Digg IDel.icio.us It!Del.icio.us It!http://www.juif.org/le-mag/1218,israel-la-mer-a-boire.php
 
La société israélienne IDE-Technologies s’est imposée comme leader mondial de la désalinisation de l’eau. Après avoir permis à l’État hébreu de conquérir son indépendance hydraulique, elle exporte son savoir-faire en Inde ou en Californie. Une expertise qui aiguise l’appétit d’investisseurs chinois.
 
Le secrétaire américain de l'Énergie, Ernest Moniz, a arpenté les lieux en avril 2016. Quelques mois plus tôt, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, avait effectué la même visite. Et depuis trois ans, on ne compte plus le nombre de délégations d'experts chinois ou indiens qui se rendent aux abords de la plage de Palmachim, sur le littoral israélien, pour observer de plus près un labyrinthe de pompes, de réservoirs, de filtres et de moteurs...
 
Nous sommes en banlieue sud de Tel-Aviv, sur le site de Sorek, la plus grande usine au monde de désalinisation par « osmose inverse ». La méthode la plus en pointe actuellement pour faire boire de l'eau de mer. Avec une production journalière de 624 000 m3, Sorek fournit 20% de l'eau potable d'Israël et approvisionne 1,5 million de personnes. Vitrine technologique du pays, au coeur de l'installation sortie de terre en 2013 : un vaste hangar où près de 50 000 membranes poreuses, enfermées dans des cylindres verticaux blancs, filtrent l'eau sous haute pression et rejettent les cristaux de sel dans la mer. Le résultat se mesure un peu plus loin, autour d'un simple robinet, flanqué d'un distributeur de gobelets en carton. C'est là que le visiteur est invité à goûter une eau qui a été pompée quarante minutes plus tôt à 2,5 km de distance, à un kilomètre au large, avant d'être acheminée par des tuyaux souterrains géants.
 
Au secours de la Californie ?
 
« À l'échelle mondiale, nous produisons chaque jour 3 millions de mètres cubes d'eau, à un prix défiant toute concurrence », explique posément Miriam Faigon, directrice des opérations au sein du groupe israélien IDE-Technologies, l'opérateur de Sorek. Ici, un algorithme propriétaire permet d'identifier les heures du jour et de la nuit où la désalinisation coûte le moins cher en électricité. Le coût de revient moyen est de 0,54 dollar par m3. « Récemment, poursuit l'ingénieure, nous avons même apporté notre expertise à la Californie ! »
 
Une allusion directe à l'inauguration, fin 2015, du site de Carlsbad (près de San Diego), la plus grande usine de désalinisation de l'hémisphère nord. Construite en dix-huit mois par IDE en association avec son partenaire américain Poseidon Water, après dix ans de tractations, l'usine doit aider la région à faire face à une situation de sécheresse devenue catastrophique. Israël au secours de la Californie ? Le scénario n'est pas si étonnant : depuis quelques années, l'État hébreu - un pays désertique à 60% où chaque goutte économisée compte - est devenu un modèle en matière hydrologique.
 
Le savoir-faire de ses entreprises spécialisées en gestion de l'eau, IDE en tête, est de plus en plus reconnu. Témoin : le nombre de récompenses que reçoit à intervalles réguliers le champion israélien de la désalinisation. IDE-Technologies s'est hissé en août dernier au second rang du classement annuel des « cinquante entreprises qui changent le monde » du magazine Fortune, juste derrière le géant pharmaceutique GlaxoSmithKline. En 2016, la société installée à Kadima, à 70 km au nord de Tel-Aviv, figurait pour la seconde année consécutive dans le Top 20 mondial des entreprises innovantes de la MIT Technology Review.
 
75% de l'eau potable des ménages
 
Société privée détenue à parité par deux conglomérats, Delek et Israeli Chemicals, IDE affiche un track-record impressionnant. Présente dans 40 pays, elle a construit plus de 400 usines en cinquante ans d'existence. Créditée de près de 20% du marché mondial, elle a plus récemment imposé son leadership technologique dans la désalinisation à grande échelle. On lui doit en particulier la plus grande usine chinoise de ce type, à Tianjin (au nord-est de Pekin), et la plus importante installation d'Inde, à Gujarat. En Israël, cette société de 320 salariés gère à elle seule trois des cinq méga-usines de désalinisation par osmose inverse ouvertes au cours de la dernière décennie - il n'y en a qu'une douzaine d'exemplaires sur le plan mondial !
 
IDE a d'abord mis en route en 2005, en partenariat avec Veolia, l'usine d'Ashkelon, présentée à l'époque comme la première unité par osmose inverse (1) de cette dimension dans le monde ; puis celle de Hadera quatre ans plus tard, avant d'inaugurer son installation phare de Sorek en octobre 2013. Le même mois, l'État hébreu, confronté à un stress hydrique chronique, proclamait officiellement son « indépendance en eau ». De fait, le pays totalise à ce jour une production de 600 millions de mètres cubes par an avec ses cinq usines de désalinisation, qui fournissent désormais 75% de l'eau potable des ménages, contre seulement 4% en 2004. De quoi limiter le pompage dans le lac Tibériade, qui affecte le débit du fleuve Jourdain, alimentant la mer Morte.
 
Déjà Ben Gourion en 1956
 
« Pour la première fois de son histoire, Israël a réglé son problème d'eau », confirme Abraham Tenne qui a dirigé pendant dix ans, jusqu'en 2015, la Commission de la désalinisation au sein à la Direction générale de l'eau et de l'assainissement d'Israël. Pour cela, les autorités ont pris une série de mesures drastiques : une vaste campagne nationale pour économiser l'eau, le recours massif à la micro-irrigation, le recyclage des produits d'égouts, qui place Israël au rang de leader mondial pour la réutilisation des eaux usées avec un taux de 85%. « Mais une chose est sûre, poursuit Abraham Tenne, sans IDE et sans notre programme de désalinisation à grande échelle, ce miracle ne se serait jamais produit. »
 
En Israël, le désalinisation est une vieille histoire. Dès 1956, David Ben Gourion, le père fondateur de l'État hébreu, rêve « d'irriguer le désert avec de l'eau de mer purifiée ». Et confie à Alexander Zarchin, un ingénieur ayant fui l'Union soviétique après cinq ans de goulag, le soin de créer un bureau de recherche baptisé Israel Desalination Engineering - l'ancêtre du groupe IDE - pour développer son idée. « À l'époque la désalinisation n'était pas rentable commercialement », raconte l'avocat américain Seth M. Siegel, dans Let there be water (St Martin's Press 2015), un best-seller traduit en onze langues (dont le chinois), consacré au modèle israélien de gestion de l'eau.
 
 
Sous la houlette de Nathan Berkman qui le pilotera pendant vingt-cinq ans, le modeste bureau va devenir une agence gouvernementale à but lucratif, développer des approches plus économiques dans la désalinisation thermique (par évaporation/condensation) et décrocher des commandes. « Très tôt le savoir-faire israélien s'est exporté dans le monde entier, ajoute Seth M. Siegel, avec des contrats dans les îles Canaries, et même en Iran, où IDE a installé pas moins de 55 petites unités sous le règne du Shah ! »
 
« Désalinisation vert »
 
Mais il faudra attendre encore deux décennies pour qu'IDE Technologies, privatisée dans les années 90 comme de nombreuses entreprises publiques israéliennes, décolle vraiment. Dirigée depuis 2002 par Avshalom Felber, un as de la finance, l'entreprise a su miser sur la technologie des membranes au moment où le pays lançait son programme de désalinisation à grande échelle. Le changement décisif est intervenu quand IDE a adopté l'osmose inverse, une méthode inventée par un ingénieur américain établi en Israël (lire ci-contre), et qu'IDE a utilisée avec une approche iconoclaste.
 
« La technologie de filtration par membranes existait déjà, mais nous avons introduit des innovations qui nous ont permis de faire la différence », glisse Miriam Faigon. Sachant qu'IDE met un point d'honneur à ne jamais apporter la même réponse d'un projet à l'autre. « C'est en se montrant ouvert aux idées les plus fantaisistes que le groupe a rendu la désalinisation plus rentable et plus efficace », observe Edo Bar-Zeev, de l'institut Zuckerberg pour la recherche hydrologique, rattaché à l'université Ben Gourion.
 
Depuis son laboratoire flambant neuf, sur le campus de Sde Boker, au coeur du désert du Néguev, ce jeune chercheur diplômé de l'université de Yale estime qu'IDE est à l'avant-garde dans la lutte contre le bio-encrassement des membranes. Et de citer en exemple le lancement de Pro Green, un programme de « désalinisation vert », réalisé sans produits chimiques, développé depuis trois ans par IDE pour un complexe de luxe situé sur la Grande Barrière de corail, en Australie.
 
Sous pavillon chinois ?
 
Pas de quoi toutefois rassurer les détracteurs de la méthode. Car en Israël, comme ailleurs, elle déclenche les foudres des défenseurs de l'environnement. « Évidemment dans un pays qui a été sauvé de la sécheresse, notre voix est un peu étouffée », fait remarquer Sarit Caspi-Oron, l'experte scientifique de l'association Adam Teva V'Din. Mais selon nous, Israël aurait dû continuer à explorer des méthodes de conservation, avant d'installer sur son littoral pas moins de cinq méga-usines dans un rayon de 100 km. » L'association écologiste critique une technologie trop gourmande en énergie et s'inquiète de l'impact du rejet des saumures (eaux saturées en sel) qu'engendre le processus. « Même si dans les deux cas les industriels trouvent des parades », reconnaît l'experte. IDE travaille par exemple sur un nouveau procédé d'exploitation de l'énergie osmotique, qui résulte de la différence de salinité entre l'eau de mer et l'eau douce près des estuaires. Autre axe prioritaire : la production d'eau potable à partir des déchets municipaux, de façon sécurisée et écologique. « Cela sera pour nous la prochaine révolution », promet Avshalom Felber, le PDG.
 
Les deux actionnaires, Delek et Israel Chemical, ont souhaité il y a deux ans céder IDE Technologies pour se recentrer sur leur métier, respectivement les réseaux de station-service et la biochimie. Ils ont confié un mandat de vente à la banque UBS, qui a certes reçu des offres, notamment de Chine et des Etats-Unis... mais jugées très décevantes aux yeux des propriétaires - autour de 400 millions de dollars, selon la presse économique israélienne. Delek et Israel Chemical temporisent désormais, indiquant que la vente sera « un long processus » et que « plusieurs options sont sur la table ». IDE pourrait-il passer sous pavillon chinois ? Pour certains, une telle transaction présenterait l'avantage d'ouvrir des marchés-clés, à commencer par les pays du monde arabe et de la zone du Golfe, qui représentent 60% du marché mondial. « Soit autant de pays qui ne font pas affaire avec notre groupe pour des raisons politiques », indique Avshalom Felber.
 
Pour ce dernier, une certitude : vendu ou pas, le fleuron israélien continuera à croître et à tenir son rang auprès des grands du marché du traitement de l'eau, Veolia, GE Water Philips Water ou Aquatech. « Plus d'1,2 milliard d'individus manquent d'un accès à l'eau potable, alors que 71% de la surface de la Terre est couverte d'eau. Avec ce genre de statistiques, nous voyons un avenir sans nuages pour la désalinisation. » À condition d'avoir les épaules assez solides pour batailler à l'échelle mondiale.
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